Et ben vous voulez que je vous dises ?

Être cancre, c'est pas si facile. C'est pas si drôle.

J'entends tellement de gens dire autour de moi « mais elle, elle a la belle vie. Elle fout rien. »
Ben non. C'est pas la belle vie. Déjà sachez que si on bosse pas, c'est qu'il y a quelque chose qui cloche. Et je me retrouve en avril avec une centaine de feuilles de notes. Et je ne sais même pas quoi en faire. Je ne sais même pas de quoi ça parle, des notes, comme ça... J'en ai pour des heures à les trier et je ne les relirais jamais, elles ne veulent rien dire.
C'est pathétique.

Le pire, c'est pas les notes, l'estime de soi ou celle qu'on les profs de toi. Les parents, tout ça, on gère. On apprend à bien le vivre, d'être une sous-merde selon le reste du monde. On apprend à vivre notre honte, pas face aux autres mais face à nous même, de pas savoir bosser. Parce que au fond, c'est pas tellement qu'on veut pas. C'est qu'on ne sait pas ! On ne sait pas s'asseoir à une table et travailler sans se distraire. C'est pas possible, on a jamais appris.

Le pire sont ces deux choses :
Les gens qui eux bossent mais veulent être comme toi pour « faire bien ». C'est terrible de voir des gens ne plus se sentir parce qu'ils ont séchés une heure de perm. Et ils viennent nous voir, pour nous le dire, comme si c'était héroïque. Et nous, notre joint dans une main, le relevé d'absence de 85h dans l'autre, on a envie de leurs foutre une claque et de gueuler « à quoi tu joues ? Tu penses que je vais t'aimer parce que tu as l'impression d'être moi si t’arrive en retard une fois ? Fais pas le con, reste qui tu es au lieu de me rappeler à quel point je vaux que dalle. »

Vous pensez quoi ? Que lorsque vous venez dire à un « cancre » que vous avez eu un 10 une fois, on va vous intégrer dans notre groupe de junkie ? On est pas des débauchés vous savez. Juste des paumés. Et on veut pas de vous en tant que nous. On veut vous en tant que vous. Merde hein.

La deuxième chose, et c'est peut-être la pire chose dans tout ce cynisme. Et plutôt que de vous définir, je vais vous donner un exemple. Hier, en allant en soirée, j'ai croisé une fille dans le métro. Je la connaissais bien, on se parlait beaucoup au collège. On s'est éloignée, on a pas été dans le même lycée, on ne se parle plus que lorsqu'on se croise aux expos et concerts. Elle m'a sourit et m'a dit « Je dois bosser mon bac. Le problème est que je n'ai aucune notes, hahaha, je suis dans la merde, pas un cahier, pas un stylo de toute l'année. » Et moi, moi, j'ai rigolé et je lui ai fait remarquer qu'on était dans la même merde, que la seule encre que j'ai écoulée, c'est celle de l'imprimante, pour mes relevés d'absences nombreux. On a rigolé, qu'on est des cons, qu'on gâche notre vie, qu'on a l'air stupide mais qu'on le vit bien. Et derrière nos sourires hypocrites, on sait ce qu'on pense. On a envie de chialer, on a peur, on est désœuvré, désarmé, on est abandonné et seul face au monde. On sait que l'autre, dans sa tête, il est pareil, il est aussi mal. Mais personne ne romps les rires qui sonnent faux pourtant. Personne ne dit « Bah non, ça va pas, j'ai foutu la merde, maintenant je l'assume et j'ai très peur. Mon futur s'efface, mon estime aussi et la société ne m'aide pas. J'en ai marre d'être traité de junkie, de dépenser mon argent dans la beuh, d'être content lorsque j'ai 1gramme4 pour 10eu. J'en ai marre de voir les profs rire quand je note et me demander si ça va durer dix minutes, j'en ai ras le bol que mon frère se compare à moi et que mes parents me disent qu'à 18 ans, je vais devoir me casser si je continue comme ça. »
C'est le plus horrible dans l'histoire, croyez moi. Et la boule au ventre, j'ai quitté le métro. Je me suis sentie encore plus seule. Et c'est le sourire d'une vieille femme qui m'a un peu redonné confiance. Un sourire confiant.

Heureusement que je veux travailler dans le cinéma, je me suis dit.
Ma vie ne sera jamais gâchée, je me suis dit.

Je mens peut-être.

Le Cancre.

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